CRISE DES ANNÉES 1970: QUAND LA FRANCE FAISAIT FACE À UNE INFLATION GALOPANTE
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A l’heure où l’inflation fait son grand retour sur fond de flambée des prix de l’énergie, le spectre des années 1970 refait surface. Avec comme principale crainte de voir ressurgir une longue période de stagflation, une forte hausse des prix conjuguée à une croissance atone, d’ampleur équivalente à celle vécue il y a 50 ans.
En préambule d’une conférence sur l’indépendance énergétique le 9 mars dernier, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a lui-même établi un parallèle entre les turbulences du présent et celles des années 1970. Le locataire de Bercy a notamment affirmé que la crise énergétique actuelle était “comparable en intensité, en brutalité, au choc pétrolier de 1973“, année charnière qui signa la fin des Trente Glorieuses.
Avec un quadruplement du prix du baril de pétrole en quelques semaines seulement, cet événement, conséquence de la guerre du Kippour en octobre 1973, est souvent décrit comme l’élément déclencheur de la crise inflationniste qui courra jusqu’à la fin des années 1980.
Mais il n’est pas le seul. Les experts mettent aussi en avant des composantes monétaires dont l’abandon en 1971 de la convertibilité du dollar en or. Plus largement, d’autres évoquent un choc de demande sur les matières premières, voire des coûts salariaux trop élevés dans une période d’amplification de la mondialisation où les pays asiatiques à faibles coûts de main-d’œuvre et de matériaux commencent à concurrencer les pays développés.
Les schumpétériens, eux, y voient tout simplement la fin d’un cycle marqué par un taux de rentabilité qui se détériore dès la fin des années 1960 dans certains secteurs déjà en déclin, quand d’autres produits innovants commencent à émerger. Il est vrai que la tendance de plusieurs indicateurs pouvait être annonciatrice de la crise, avant même que ne survienne le choc pétrolier. Certes soutenue en partie par une croissance encore vigoureuse, l’inflation française a franchi le seuil des 5% dès 1970, avant d’accélérer jusqu’à 9,2% en 1973. Reste que le choc pétrolier accentua un peu plus la dynamique avec une hausse généralisée des prix de 13,7% l’année suivante.
Boucle prix-salaires et début du chômage de masse
Entre octobre 1973 et janvier 1974, le prix du baril de pétrole explose, passant de 2,59 dollars à 11,65 dollars. Les prix des matières premières bondissent également, de même que le prix du litre d’essence qui, à 1,69 franc en 1973, s’établit à 4,17 francs en 1980. Cette inflation galopante se diffuse plus généralement à tous les produits de consommation. La croissance, elle, ralentit, de 6,3% en 1973 à 4,3% en 1974, puis dégringole, le PIB tricolore reculant de 1% en 1975.
Face à la flambée des prix, le Smic, indexé sur l’inflation, est revalorisé plusieurs fois par an. Sa hausse est même plus importante que celle des prix car l’objectif du successeur du Smig depuis 1970 est de faire en sorte via des coups de pouce supplémentaires que le salaire minimum rattrape en partie son retard sur le salaire moyen. Fixé à 3,27 francs brut de l’heure cette année-là, il progressera rapidement pour atteindre 14 francs dix ans plus tard.
Au-delà du Smic, ce sont l’ensemble des salaires qui vont augmenter significativement dès le début de la crise des années 1970, déclenchant une boucle prix-salaires alimentant un peu plus l’inflation. Il faut dire que la dynamique des prix et la hausse des factures énergétiques attisent à l’époque un certain mécontentement social, et encouragent les syndicats à réclamer des gestes forts au patronat.
“Les revendications des syndicats étaient très fortes. Ils tenaient impérativement à l’indexation (des salaires sur les prix)”, rappelle Michel-Pierre Chélini, professeur d’histoire contemporaine spécialiste des prix à l’Université d’Artois et co-auteur de Calmer les prix, l’inflation en Europe dans les années 1970.
Les augmentations successives obtenues chaque année iront même au-delà de l’inflation. Jusqu’à la fin de la décennie, les salaires nets réels, c’est-à-dire corrigés des effets de la hausse des prix, progresseront d’environ 4% par an. Des revalorisations d’autant plus faciles à obtenir pour les syndicats que les salariés sont en position de force dans une période où la France est en situation de plein emploi.
Mais la situation va progressivement changer. A mesure que la crise s’installe, que la croissance et la productivité ralentissent, le chômage devient une nouvelle réalité, bien que tout le monde n’est pas exposé de la même manière, les secteurs déjà en difficulté avant la crise (charbon, textile, sidérurgie) étant les premiers touchés.
A 3,5% en 1975, le taux de chômage franchit la barre des 5% quatre ans plus tard et continuera de grimper après le second choc pétrolier de 1979, jusqu’à dépasser les 9% en 1985. Cette situation étonne les économistes de l’époque alors que l’inflation persiste à un niveau très élevé. Pour la première fois, la relation mise en avant par la célèbre courbe de Philips selon laquelle l’inflation recule quand le chômage augmente (et inversement) est mise à mal.
Une période propice aux investissements immobiliers
Dans les années 1970, l’urbanisation se poursuit et de plus en plus de Français, en majorité locataires à l’époque, veulent désormais acheter leur logement. Si l’inflation provoque une remontée des taux d’intérêt susceptible de refroidir certains projets, les prix de l’immobilier ne s’effondrent pour autant. De fait, la demande reste soutenue avec des crédits qui connaissent deux phases de hausse importante en 1972-1973 et 1975-1977.
Rien de surprenant en réalité puisque les taux augmentent moins que l’inflation. Autrement dit, les taux réels demeurent faibles, voire négatifs en 1974. “Ce n’est pas la période où les gens qui s’endettent font de mauvaises affaires. Le remboursement se fait de plus en plus facilement”, relève Michel-Pierre Chelini.
En effet, “du milieu des années 1970 au milieu des années 1980, un ménage pouvait accepter un taux d’effort (mensualité à rembourser rapportée au revenu, ndlr) très élevé en début de prêt puisque la croissance de son revenu (approximativement indexé sur l’inflation) le réduisait très rapidement: par exemple, si son revenu croissait de 10% par an, un taux d’effort initial de 35% n’était plus que de 26% après trois années. Avant 1984, l’inflation élevée compensait donc le niveau élevé des taux d’intérêt sur le pouvoir d’achat immobilier des ménages”, rappelle l’économiste Jacques Friggit, chargé de mission au Conseil général de l’Environnement et du Développement durable, dans une note publiée en 2010.
“En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées”
Le choc pétrolier de 1973 suscite aussi des inquiétudes en matière d’approvisionnement énergétique. Ce qui pousse le gouvernement à agir en misant largement sur l’atome pour la production électrique nationale. Dès mars 1974, le Premier ministre Pierre Messmer dévoile un plan visant à limiter la dépendance française au pétrole via la construction de plusieurs réacteurs nucléaires. Trois ans plus tard, le premier réacteur à eau pressurisée de Fessenheim entre en service. Au total, 54 réacteurs seront construits durant la décennie.
Dans le même temps, l’Agence pour les économies d’énergie est créée et le gouvernement annonce dès fin 1973 plusieurs mesures symboliques de court terme pour inciter les Français à la sobriété: limitation de la vitesse automobile à 90km/h sur les routes et à 120 km/h sur autoroute, fin des émissions de télévision à 23h hormis le samedi soir et pendant les fêtes, interdiction de la publicité lumineuse ainsi que de l’éclairage des monuments publics et des bureaux inoccupés de 22h à 7h, plafonnement du chauffage à 20 degrés “dans les locaux à usage d’habitation, d’enseignement, de bureaux ou recevant du public”…
C’est aussi en 1974 que naît dans une campagne de publicité du gouvernement le célèbre slogan “En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées”. Cette année-là, Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République. Deux ans après son arrivée au pouvoir, il imposera à son tour sa mesure symbolique pour réduire la consommation d’énergie avec l’instauration du changement d’heure.
Entre plans de relance et plans de contrôle
Outre les mesures visant à réduire la consommation énergétique, les gouvernements successifs de l’époque cherchent à enrayer la dynamique de l’inflation et à redonner un coup de boost à l’économie, sans trop savoir quel levier actionner: “Il y a eu une alternance de plans de relance et plans de maîtrise des prix”, souligne Michel-Pierre Chélini.
En 1974, le gouvernement de Jacques Chirac opte dans un premier temps pour une politique de freinage de l’inflation via plusieurs dispositifs comme l’encadrement du crédit, un relèvement des taux d’intérêt et diverses mesures fiscales. Mais face au mécontentement de l’opinion, le Premier ministre du président Giscard change de braquet et annonce quelques mois plus tard un plan de relance à plusieurs dizaines de milliards de francs pour soutenir la consommation et l’investissement (déductions de TVA, crédits d’impôts pour les familles nombreuses, prêts bonifiés, etc.). Le bilan est plutôt décevant. Si la “relance Chirac” a permis de retrouver un niveau de croissance correct, elle a entretenu l’inflation, contribué au creusement du déficit budgétaire et dégradé les comptes extérieurs de la France.
Nouveau Premier ministre en 1976, Raymond Barre fait marche arrière et décide d’un plan d’austérité: les prix sont bloqués, des contrôles sont mis en place dans les magasins, la hausse des salaires est encadrée et les impôts sont majorés. Un second plan davantage partagé entre mesures de soutien à la consommation et mesures de freinage des prix verra le jour en 1978. Mais les résultats sont minces: l’inflation demeure très élevée et le chômage (5% en 1979) continue de grimper. L’endettement public est quant à lui passé de 8,1% du PIB en 1974 à 13,8% en 1979.
“Chasse au Gaspi”
C’est d’ailleurs en 1979 que survient le second choc pétrolier, conséquence de la révolution iranienne et de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Ce qui oblige le gouvernement à prendre de nouvelles mesures d’économies énergétiques: le fuel est rationné, tandis qu’une nouvelle campagne est lancée: “la chasse au Gaspi”.
Cette opération de communication marque les esprits en mettant en scène un petit personnage rose au gros ventre et à la tête en entonnoir dont le père n’est autre que celui de Bison Futé, à savoir Jean Poulit, directeur à l’époque de l’Agence pour les économies d’énergie après avoir été responsable des routes.
Vérifier les pneus, éviter les accélérations intempestives… La campagne “Gaspi” invite les automobilistes à adopter les bons gestes pour une conduite plus économique. L’opération est un succès: 225.000 tonnes de pétrole auraient été économisés, selon le gouvernement.
Malgré ces efforts louables, la France s’enfonce dans la stagflation: l’inflation redécolle pour atteindre 13,7% en 1980 tandis que la croissance ralentit à nouveau, à seulement 1,1% en 1981. C’est dans ce contexte que la gauche fait son retour au pouvoir après de longues années d’absence. Sera alors menée une politique de relance dirigée par le Premier ministre de François Mitterrand, Pierre Mauroy. Sans succès réel: “La politique économique française est supposée rétablir la croissance par augmentation des revenus salariés et des dépenses de l’Etat, mais gonfle en fait déficit extérieur et déficit budgétaire”, relève Michel-Pierre Chelini.
Nouveau revirement en 1983 avec le plan de rigueur Delors qui sera particulièrement dur alors que le chômage dépasse les 7%. Afin de calmer l’inflation et restaurer la compétitivité de la France, les prix ainsi que les revenus sont bloqués: l’heure est désormais à la modération salariale. Un emprunt forcé contraindra également les contribuables payant plus de 5000 francs d’impôts à verser 10% du montant de celui-ci à l’Etat qui récupérera 14 milliards de francs avant de rembourser ces sommes à partir de 1985.
La source:Crise des années 1970: quand la France faisait face à une inflation galopante (bfmtv.com)